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SUICIDE D'UNE DIRECTRICE D'ÉCOLE ...
C’est arrivé le 21 septembre 2019.
Une lettre de 3 pages (qu’on trouvera ici, ses proches ayant autorisé sa publication https://t.co/KK6qH8GL8D ) envoyée par Christine RENON le samedi 21 septembre 2019, juste avant de se donner la mort sur son lieu de travail, semble être le dernier message qu’elle a voulu transmettre avant son choix de partir.
Peut-être a-t-elle pensé que cela aiderait à ce que les politiciens entendent enfin les revendications d’amélioration des conditions de travail qui sont devenues insoutenables pour elle et pour les autres ?
(...)
Le même jour, mais il n’en a pas été fait écho à la télé, Frédéric Boulé, enseignant de SVT de 58 ans qui exerçait depuis 28 ans au lycée international de Valbonne mettait lui aussi fin à ses jours, cinq jours après avoir rencontré le médecin de la prévention du rectorat.
Il y a eu un sursaut immédiat qui est d’abord venu des enseignants et des parents. Faut dire que 200 écoles fermées en Seine-Saint-Denis ça ne passe pas inaperçu aux yeux des médias. Le buzz pour la mort d’une directrice a pu commencer. Il n' a pas été très grand ni très long dans le temps. Il a fallu cet évènement pour qu’enfin on fasse un peu de lumière sur les conditions de travail de ces personnels corvéables et taillables à merci, pas toujours soutenus d’ailleurs par leurs collègues d'école , par des parents qui souvent sont plus consommateurs qu’acteurs ou des mairies qui ne facilitent pas toujours la résolution des problèmes pratiques. Quant à la hiérarchie éducation nationale , elle n’est pas toujours présente (sauf exception) : il ne faut pas faire de vagues, voyons… Sauf que là ce n’est pas une vague mais un tsunami… qui s‘est produit mais l’indifférence semble malgré tout régner au vu des réactions bien faibles des instances de l'éducation nationale. Le Buzz n'a pas duré...
Ces évènements ont été couverts par la longue litanie des hommages à Jacques Chirac, (décédé le 26 septembre) durant plusieurs jours et à longueur de chaines. Hommage d’accord mais saturation d’hommages, ça va bien un moment …et le reste de l’actualité se dissout…
Je n’ai guère vu, depuis le fait, de réels débats à la télé sur le sujet de la direction d'école . On a effleuré les choses aux Grandes Gueules sur la radio RMC avec une réponse" ni moule ni poisson" du ministre aux accusations que lui portait sur son silence une des invitées.
Depuis, j’attends une mise en lumière non pas sur le suicide lui-même, la lettre de Christine Renon est claire, mais bien sur le quotidien du travail de la directrice ou du directeur d’école.
Dans sa lettre, Christine Renon le décrit bien ce travail qui devient impossible… Je n’en rajoute pas. Il suffit de lire et de noter par exemple les mises en cause qu’elle fait pour se rendre compte de la solitude qu’on connait dans ce métier ne serait ce que pour régler de petites choses auprès de la « mairie » et qui prend de l’énergie et du temps pour parfois aucun résultat. Si on ajoute l’écoute des parents très important si on veut bien faire son boulot… et bien sur « la paperasse » souvent inutile et dont la croissance n’a fait que s’amplifier sans que l’ordinateur, internet, les outils n’apportent un allégement du temps passé...quoiqu'en dise le ministre. Ayant été moi-même directeur d’école durant 21 ans tout en assumant la classe, je retrouve nombre de ces anomalies qui ont fait craquer la collègue à quelques années de la retraite ce qui est encore plus poignant…
(auteur stevepb, CCO domaine public)
MÉPRIS ? INDIFFÉRENCE ?
Il a fallu en effet 4 jours pour que Jean-Michel BLANQUER, ministre de l’éducation nationale se fende d’un tweet pour tout hommage à la directrice décédée :
« Mes pensées de solidarité et de profonde tristesse pour la directrice de l’école de Pantin et pour la communauté éducative de toute la ville. Le recteur de Créteil est en lien avec les équipes depuis lundi. J’ai missionné l’Inspection générale qui est sur place ce matin.
22:48 - 25 sept. 2019 » .
Lors d’un hommage à Pantin, organisé dans la cour de l’école le jeudi 26, les professeurs et parents d’élèves constataient l’absence de représentants officiels.
Selon les sources publiées, le ministre est venu un autre jour faire une visite express avec le maire mais il n’y a eu aucun mail de la direction académique ni d’ailleurs de la municipalité. Cela me semble dénoter un manque évident de compassion.
Pourtant le lundi suivant, la minute de silence dans les classes a bien été demandée en hommage à Jacques Chirac ce qui est normal mais rien ne serait ce que localement en hommage à la collègue décédée… La moindre des choses aussi pourtant.
A la télé, après les répétitions lassantes à propos de la mort de l'ex Président de la République, l’incendie de Rouen ( le 26 septembre aussi) à propos duquel on organise des rencontres d'experts, de consultants sans en avoir d'informations complètes, l’affaire des assassinats de la préfecture de Police de Paris ( jeudi 3 octobre) a pris le relai et engorge les chaînes. Les politiciens renchérissent en demandant la démission du ministre de l'Intérieur...Un bon sujet en somme... Du moment que ça buzze pour certains se mettre en valeur...Je constate donc que de débat sur les conditions de travail des directrices et directeurs il n'y a guère de traces. Pourtant là, il y a de la matière contrôlable, indiscutable mais sans doute ne veut-on pas froisser les susceptibilités des hiérarques de l’éducation nationale qui sont tous au courant que les malaises existent mais ne font rien ou si peu pour y pallier. Et là c’est trop tard cette fois-ci encore, l’affligeante inhumanité du système politique et administratif a concouru à faire de nouveau une victime. Mais cette fois, cette victime ne s’en est pas allée sans dire ce qui a motivé, dans le cadre de sa vie professionnelle et de sa vie tout court,son geste fatal. A espérer que ses propos seront pris au sérieux et relayés. Ce que je fais à ma petite échelle.
(Front page of Le Tartuffe, ou l'Imposteur by Molière (1622-1673), domaine public)
HYPOCRISIE
Il a fallu ce suicide pour cause de mal être au travail pour que l’hypocrisie des politiciens au pouvoir se montre de nouveau.
Le jour de l’inhumation de Christine Renon, Directrice d’école à Pantin, Jean-Michel Blanquer n’a rien trouvé de plus approprié que d’annoncer la création d’un comité de suivi du travail des directeurs et des directrices d’école ! Une annonce que je trouve pour le moins déplacée un jour de deuil. L’annonce pouvait attendre… Comme attendent depuis des décennies les directrices et directeurs d’école l’amélioration des conditions de travail qui aurait pu et devrait leur permettre d’assumer leurs tâches sans être taillables et corvéables à merci et provoquer des drames.
Tout ce que dit dans sa lettre la collègue décédée est réel. Elle ne l’a pas inventé et elle en est morte parce qu'au bout du rouleau, ses propos dénonçant à l'évidence un malaise non pris en compte par une administration inhumaine ce qui a contribué à la laminer à deux ou trois années de la retraite. Épuisée...Quel gâchis!
Je peux en témoigner de ces problèmes de disponibilité que j’ai connus à l’époque où j’exerçais et qui étaient déjà importants et qui n’ont fait que croître avec le temps et la folie statisticienne des ministres et des technocrates de l’éducation nationale pour qui l’enseignant et l’élève sont des pions qu’on comptabilise pour on ne se sait guère d'ailleurs quels objectifs fumeux dans des rapports qui finalement n’ont guère permis d’améliorer la prise en charge des élèves.
J’ai pu moi-même faire une longue grève administrative pour dénoncer des conditions de travail impossibles aussi à cette époque – il y a plus de quinze ans - mais comme de coutume les ministres sont restés sourds aux difficultés du terrain.
Je ne raconterai pas ce que j’ai personnellement vécu sauf à ce que j'ai eu la chance de pouvoir compter sur nombre de collègues dans le cadre de vraies équipes de terrain ce qui n’existe pas partout et même je puis dire parce que certains inspecteurs ou inspectrices vous respectaient à défaut de pouvoir vous donner les moyens que l’administration centrale ne dégageait pas ...malgré la grève. Mais c’était quand même difficile, sans doute pas autant que maintenant alors que je peux constater l’accroissement de plus en plus important des tâches notamment administratives et les "tracasseries" innombrables du quotidien qui saturent ce que dénonce Christine RENON et qui cassent le véritable métier de la direction d’école. Mais j’y reviendrai sans doute à la lumière de la copie que devrait rendre le ministre ou son comité de suivi.Les ministres préfèrent faire « passer » leur soi-disant réformes qui ne sont souvent que des modes personnels de pensée du moment, des marottes… en oubliant le plus souvent qu’il faut de la formation continue, une formation professionnelle de qualité, du temps et un salaire décent pour celles et ceux qui instruisent les élèves… plutôt que leur verbiage souvent insipide valorisant des « réformes hors sol »que le ministre suivant remplacera y compris pour faire l’inverse que son prédécesseur a prôné. J’en ai moult exemples. Le nombre de jours de la semaine scolaire en est un parmi d’autres.
Mais il ne me sera pas difficile, s’il le fallait, d’en trouver d’autres pour aujourd’hui ou pour les 30 dernières années précédentes.
Monsieur Blanquer l’a dit lui même sur RTL : "Le problème de mal-être dans les services publics ne datent pas d'il y a deux ans". Je témoigne que c’est vrai mais qu’a-t-il fait depuis qu’il exerce son ministère pour corriger ce constat. Rien. Il a même des doutes sur l’utilité de faire quelque chose puisqu’il dit sur l’antenne de la même radio : "On doit améliorer la situation des directeurs d'école", faire "évoluer leur statut". "Tout doit se discuter, il faut que l'on prenne tous nos responsabilités. Si l'on considère que la situation n'est pas satisfaisante, on doit en discuter". Avec son « si » cette dernière phrase est à l’image même de l’hypocrisie du système.
Depuis le temps, l'heure n'est plus à la discussion mais aux actes qui n'ont que trop tardé.
Est-il donc en effet besoin d’installer une énième commission pour connaître les difficultés supportées par les directrices, directeurs? De la pure hypocrisie aussi pour faire croire au grand public, aux électeurs qu’on agit…alors que les problèmes ne datent pas d’aujourd’hui.
Cette hypocrisie est d’autant plus flagrante que le dit ministre de l’éducation nationale a fait le nécessaire pour aggraver les conditions de travail des collègues directrices et directeurs ne serait-ce que par la suppression des emplois aidés qui n’étaient certes pas la panacée mais avaient le mérite de pouvoir alléger les tâches administratives toujours plus nombreuses demandées aux écoles, en l’attente espérée d’autres solutions plus pérennes. Mais que nenni, on casse brutalement et on ne prévoit rien pour remplacer en laissant au personnels concernés le soin de se « démerder »… Et je suis poli.
(image geralt)
Si ça ne « date pas d’il y a deux ans », l’actuel ministre a grandement continué de contribuer « au malaise ».
On pourra lire sur ce même blog mes remarques sur la nomination de ce ministre qui ne « rachète pas les autres » : http://quaiducitoyen.eklablog.fr/le-quinquennat-commence-mal-pour-l-ecole-a131557396 et la série des 6 articles que je consacre à l’École et qui commence à http://quaiducitoyen.eklablog.fr/education-nationale-la-casse-a-macron-via-blanquer-chapitre-un-a159819964 .Ce n'est pas en effet de la seule responsabilité du ministre actuel mais aussi de tous les autres notamment durant les 4 législatures qui ont précédé.
Car des autres, les prédécesseurs on peut aussi parler: de Jospin à Chevènement en passant par Bayrou ... Darcos sous l’autorité duquel Jean –Michel Blanquer a œuvré... le « règne » catastrophique de Hollande dont les ministres n’ont pas su se saisir de la belle occasion qui leur était donnée de refonder véritablement l’École. (http://quaiducitoyen.eklablog.fr/hollande-3-ans-l-ecole-pre-introduction-a118096452 ). Cela n’a abouti à rien d’autre que de la confusion notamment avec la fameuse et inepte « réforme des rythmes scolaires » qui a concouru à amplifier les tâches quotidiennes des directrices et directeurs d'école sans les moyens en temps nécessaires pour les assumer (http://quaiducitoyen.eklablog.fr/la-reforme-des-rythmes-retour-sur-un-passe-recent-1-a112419780 et suivant ) .
Pêle-mêle on pourra lire nombre de mes remarques non exhaustives sur certains de ces ministres dans la rubrique « Éducation » de ce blog. ( par exemple http://quaiducitoyen.eklablog.fr/priorite-a-l-ecole-primaire-a106671196 ou http://quaiducitoyen.eklablog.fr/l-erosion-de-la-loi-1905-les-responsables-a114655934 )
POUR CONCLURE
Si tant est qu’on peut conclure sur un sujet aussi grave que le suicide d’un être humain qui s’en va parce que sans doute elle a estimé qu’elle n’a plus de raisons de continuer à vivre car épuisée de manière insupportable.
Ce n'est pas un cas isolé: malaise dans la police, malaise dans les services de santé,... Les raisons sont multiples et connues et aboutissent au mal être au travail de nombre de personnels de la fonction publique. Ce mal être a des conséquences inacceptables sur la vie quotidienne personnelle...et peut mener au suicide.
Le plus grave c’est que notre société et son organisation ont concouru à ce qu’une personne de plus se retire du combat comme d’autres l’ont fait avant elle parce que les pressions conjuguées sont trop fortes , chacune ou chacun n’ayant pas les mêmes armes pour y résister. Et de cela il n'est pas tenu compte. C'est pourtant ce qu'on appelle le respect de l'être humain dans ses différences.
Patrick Patte
(...)
(Fin de la lettre de Christine Renon citée ci-avant)
Tags : Christine RENON, suicide, directrice d'école, hypocrisie, mépris, indifférence, Blanquer