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Noter ou ne pas noter?
That is the question... qu’on peut ne pas se poser tout au moins de manière aussi simpliste. Le serpent de mer de la notation à l’Ecole est de retour.
Et chacun se dit pour ou contre... Et l’on sonde les enseignants, les parents, …pas beaucoup les élèves.
Les récentes déclarations du ministre de l’Education nationale, Vincent Peillon sont dignes d’intérêt. Il affirme qu’il souhaite "une politique de l'évaluation qui soit plus positive" et "encourageante". Il constate avec justesse que "Dans notre pays, on a tendance à pratiquer une notation un peu brutale, qui ne donne pas beaucoup confiance à l'enfant ».
IL dit encore : "Je trouve que le débat est toujours intéressant quand il n'est pas manichéen, pour ou contre les notes… » : Je trouve que cette déclaration a le mérite d’élever le débat. Allons donc plus loin.
Car être « pour ou contre » les notes relève d’une conception simpliste de l’évaluation.
Pour justifier la notation, sont ressortis les arguments éculés du type « Il faut préparer les enfants à ce qui les attend après, au système de la compétition dans la société actuelle. La note est indispensable pour cela. Tout le monde est noté etc… » « A l’école il faut évaluer ce que les élèves savent. La note évalue, permet aux parents de situer leurs enfants…. ».
Avec de tels arguments, il ne faut pas s’étonner que la société devienne de plus en plus inégalitaire et égoïste.
On entend aussi : « On pourrait remplacer la note par une lettre… ». Cela été fait mais en quoi cela a-t-il fait avancer le système de l’évaluation car c’est bien en effet de l’évaluation dont il faut se saisir et non pas de la note.
Le problème de l’évaluation ne se pose que par rapport à ce qu’on doit évaluer.
Alors commençons par réviser d’une part les programmes pour les mettre en cohérence. D’autre part revoyons la pédagogie, la manière de prendre en charge les élèves et de leur apprendre.
Parler de notation n’a aucun sens si on reste dans l’esprit de la compétition.
Quelques questions pour poser le débat.
Est-on satisfait du fonctionnement et de cette compétition de la société qui écrase le plus faible ?
Est-on satisfait que certaines épreuves, dans certaines facultés ou pour certains concours, se basent sur des QCM (questionnaires à choix multiples) qui font appel à un bachotage stupide ? Ils ne mesurent que la mémoire à court terme, des savoirs qu’on a ou non compris et non pas la véritable intelligence.
Il faudrait peut-être que les responsables construisent des épreuves qui « impliquent une préparation intelligente et permettent de faire preuve d'imagination et d'esprit critique autant que de capacités de mémorisation.»
Et les enfants et les jeunes qui ont « des mauvaises notes » que ressentent-ils ?
Quelle est le ressenti d’un élève de l’école primaire à qui on dit que ses notes ne sont pas mauvaises mais moyennes , que ça pourrait être mieux, qu’il a des difficultés scolaires et à qui on ne propose rien d’autre que de se comparer aux autres ?
Est-ce normal que des enfants ont mal au ventre avant d’aller à l’école le matin parce qu’on leur met trop la pression vis à vis des résultats, des notes, de la comparaison avec les copains ou les copines. Ce n’est pas une impression, c’est un fait. Une étude réalisée pour l’association Trajectoire -Reflex indique que "43% des élèves d'école primaire ont la boule au ventre avant d'aller en classe".
Que peut penser un élève de collège qui travaille énormément et se donne du mal et qui obtient des mauvaises notes ou « juste la moyenne », n’est jamais récompensé pour le travail qu’il fait à la maison, comparé à un autre qui par « facilité » -tant mieux pour lui - obtient des très « bonnes notes » sans trop travailler.
Que ressent l’enfant en difficulté qui suit les cours de « soutien » à l’école alors que les « meilleurs » rentrent chez eux ? Ne le prend-il pas comme une punition alors qu’il travaille et s’applique à tout faire correctement... ?
Le système de la société est fortement basé sur la concurrence.
C’est le cas par exemple d’innombrables émissions de télé réalité, de jeux « vidéo », de classements divers. Il faut dépasser l'autre ,voire l'éliminer. On assiste de plus en plus, de la part de nos concitoyens, à un repli vers le « chacun pour soi », l’égoïsme.
Et dans l’éducation nationale ces dernières année, il n’a pas été donné le bon exemple : Il n’est juste qu’ à considérer la disparition programmée de l’aide aux enfants en difficulté (Le RASED) dont le précédent gouvernement a fait réduire les moyens laissant sur le bord de la route des milliers d’enfants que l’on retrouvera bientôt en collège aux prises avec des difficultés scolaires encore plus accentuées.
Si on veut faire évoluer la société vers plus de justice sociale, plus d’entraide et de solidarité, il ne faut surtout pas reproduire à l’école cette compétition stérilisante. A l‘école on doit aussi donner les moyens à chacun de s’accomplir et d’évoluer à son rythme avec ses faiblesses et ses forces, de développer ses aptitudes et apprendre.
L'école n'a pas à se calquer sur les attentes de la société mais à la faire évoluer.
(auteur: Myrabella/ Wikimedia Commons licence Creative Commons paternité – partage à l’identique 3.0 (non transposée))
Les parents et les élèves demandent-ils des notes, des classements ?
La réponse est oui et c’est justement là que le bât blesse : on inculque un modèle sélectif pour répondre aux besoins des parents d’être rassurés sur le niveau, l’état scolaire de leur enfant ou adolescent. On ne peut les blâmer. Mais jamais on ne leur indique une autre manière de considérer les choses : une évaluation qui serait constructive, positive qui permettrait de progresser plutôt que de faire un état sans suite du bon ou mauvais niveau de l’élève. Quand suite il y a, c’est la bonne ou mauvaise appréciation sur le carnet de notes, la colère ou la satisfaction des parents. Et ensuite ? Les moyens de permettre à l'élève de progresser, de rectifier sont-ils vraiment au rendez-vous? Pas souvent.
Le problème immédiat n’est donc pas qu’il y ait notation ou pas.
Il faut changer l'état d'esprit même de l'évaluation et la concevoir comme un moyen de progression plutôt que de compétition. Occupons-nous des erreurs de nos enfants et de nos jeunes pour en faire le tremplin du tâtonnement, de l’essai, de la construction du savoir intelligent , de la réflexion qui permet une confiance en soi , de construire une estime de soi équilibrée et d’arriver à une rectification intelligente de l’erreur et donc à la connaissance. Oui à une évaluation qui diagnostique l’état de la connaissance de l’élève à partir du moment où cela sera intégré dans un processus d’apprentissage car suivi d’évaluations formatives qui aideront à progresser en s’appuyant sur les erreurs ou les réussites. Cela n’exclut pas à un moment ou un autre une évaluation sommative vérifiant que les acquisitions visées par l’apprentissage ont été faites.
(image Alliance Européenne Dana pour le Cerveau (EDAB))
Ce n’est donc pas la notation qui est importante mais bien la pédagogie à mettre en oeuvre.
On doit en rénover la pratique dans la classe, l’école, le collège, le lycée, l’université. Après cela, qu’on utilise une note, une lettre ou tout autre moyen de marquer une évolution, un progrès, un acquis, qu’importe du moment que cela ne soit pas stérilisant, réducteur, stigmatisant et source d’un enfoncement dans l’échec.
Je disais dans un article précédent la nécessité effective de refonder vraiment l’école : il ne faut pas en effet faire de la notation un débat isolé mais plutôt réfléchir à l’évaluation dans le cadre d’une école refondée. Je me permets de me citer : (http://quaiducitoyen.eklablog.fr/c-est-bientot-la-rentree-a49806954)
« Refonder l’école c’est faire la rupture avec l’existant pour qu’enfin le système éducatif soit à la hauteur des enjeux de nos enfants et de nos jeunes pour leur avenir et celui du pays … Les rythmes des enfants et des jeunes doivent être repensés. C'est indispensable mais on doit dans le même temps, de manière indissociable, reconsidérer les pédagogies à mettre en œuvre dans les écoles, les collèges et les lycées : des pédagogies pour permettre à tous de réussir au mieux et ne pas laisser de côté comme actuellement nombre d’élèves en difficulté qui pourraient progresser si d’autres pratiques et conditions d’apprentissage étaient mises en place.
Le statut de l’élève, la manière dont l’élève doit être considéré par les adultes encadrants doivent faire l’objet d’une réflexion approfondie. »
(une classe d'école vers 1874 - auteurZen38 - licence Creative Commons paternité – partage à l’identique 3.0 (non transposée)
"Repenser l’évaluation" doit prendre toute sa place en cohérence avec le reste.Il faut que les apprentissages soient valorisés par les évaluations et pas que l’élève soit dévalorisé par une évaluation mal conçue.
Je pense qu’il faut se pencher sur les travaux faits sur la docimologie, discipline consacrée à l’étude du déroulement des évaluations, en pédagogie. On y apprend nombre de faits intéressants et on en tirera des leçons sur la relativité des notes, les facteurs d’influences sur les notations des correcteurs de copies etc…Les notations actuelles sont subjectives et peuvent ne pas être très révélatrices du niveau de compétences des élèves.
Et cela est valable de la maternelle à l’université.
Les problèmes des enseignants : Il faut arrêter le « zapping pédagogique » qui consiste pour les professeurs à « courir » pour achever le programme avant la fin de l’année : Il y a des élèves qui ne suivront pas. De plus, de nombreux enseignants sont démunis pour mettre en place une pédagogie qui tient compte de la personnalité de l’élève, ce qu’il sait et ne sait pas. Ils manquent de temps. Ils n’ont pas tous été formés et ne maîtrisent que trop peu d’outils qui vont dans le sens d’une pédagogie de la réussite.
Le précédent gouvernement a aggravé la situation en supprimant la formation des maîtres et des professeurs au nom du « sacro-saint Master » et d’une conception archaïque de ce que doit être l’enseignement. Par ailleurs les conditions de travail ne les aident pas non plus. Et ces dernières années, on les a particulièrement dégradées.
Il faudrait peut-être commencer par supprimer la notation des professeurs par les inspecteurs, une "évaluation" infantilisante qui n’apporte rien. Et si les inspecteurs devenaient des formateurs pour aider les enseignants en difficulté? Et si l'évaluation des professeurs se faisait dans le cadre d'un travail d'équipe, d'une coopération positive pour améliorer les résultats des élèves...
Pour conclure provisoirement.
Le chantier qu'ouvre le nouveau ministre est important. Si la volonté politique est sincère, on pourra avancer pour réformer une école française trop sélective et surtout trop tôt sélective (Dès la maternelle).
Il faut aller vers une école où on apprend à apprendre, à construire son savoir à partir de ses erreurs et ses réussites dans un esprit d’entre aide et de respect de l’autre. Des pédagogues s'y sont essayé avec succcés, de nombreuses expériences le prouvent. Peut-être doit-on s'en inspirer et prendre les moyens de généraliser ce qui fonctionne plutôt que de continuer dans la copie des errements de la compétition d’une société de plus en plus individualiste.
Il ne s’agit pas de masquer que la société est une jungle mais bien au contraire de donner des moyens à nos enfants de construire leur avenir sans pour cela marcher sur la tête des autres.
Les jeunes d’aujourd’hui ne pourront changer et améliorer le monde de demain que si on ne continue pas de les enfermer dans le système actuel.
A suivre…
Patrick PATTE
Tags : notation, notes, peillon, évaluation, compétition, respect, égoïste, bachotage, concurrence, solidarité, pédagogie de la réussite