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L’UNIFORME A L’ECOLE : LE FUTUR CONJUGUE AU PASSE
Hé oui, après les attentats meurtriers qui ont fait 17 morts ( et des victimes qui ont subi de lourds traumatismes) certains n’ont pu s’empêcher de ressortir un débat que j’estime pour le moins poussiéreux : celui du port de l’uniforme à l’école.
(Exemples d'uniformes d'un lycée japonais : de gauche à droite, un sailor fuku, un gakuran et un uniforme féminin « occidentalisé ». Téleversé par CyberCobra, 2juin 2006, Domaine public)
Ainsi, selon le député Bernard DEBRE, le port de l’uniforme dans les écoles, les collèges et les lycées « doit redevenir la règle. Cela permettrait de redonner aux élèves la conscience qu'être à l'école, c'est être dans un lieu spécifique, républicain et protecteur".
Monsieur DEBRE, élu de la république exerce son droit d’expression et propose ses solutions. Dont acte. Chacun en pensera ce qu’il voudra comme cette quarantaine de députés de son groupe parlementaire qui le soutiennent.
J’exercerai donc, moi aussi, ma liberté d’expression.
CA BUZZE...POUR NOUS
On débat donc sur le sujet, on discute, on fait des sondages en demandant l’avis des lecteurs ou des auditeurs ... sur le port de l’uniforme à l’école, comme si c’était la solution première à examiner pour régler les problèmes que nous avons dans la société par rapport à la citoyenneté des jeunes... en oubliant parfois celles des adultes. On fait apparaître cette solution comme indispensable et première parce que ça fait le « buzz », une fois de plus.
Les incivilités, l’indiscipline, les refus, les problèmes de non respect des autres : il est donné ici l’impression qu’on les découvre alors que les malaises et les expressions de mal être de certains jeunes progressent depuis des années sans que soit fait « grand chose » pour apporter les véritables solutions aux problèmes. Tous ceux qui sont quelque peu allés sur le terrain des établissements scolaires comme les professeurs, les directeurs d’école ou même les membres d’associations de parents d’élèves ont pu voir les choses évoluer de manière négative.
Les suppressions de postes d'enseignants et d'encadrants de la précédent législature, la suppression de la formation des enseignants n'ont probablement rien arrangé. Lâcher un jeune professeur devant une classe et notamment dans un quartier dit sensible, sans formation à la psychologie, à la pédagogie ou à la gestion des conflits dans une classe n'était certes pas le meilleur moyen d'améliorer la prise en charge des élèves... Plus de 60 000 postes quand même ont disparu!
En 2004 déjà, un rapport nommé « Obin » et intitulé « les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires » fut remis au ministre de l’éducation nationale de l’époque, François Fillon. Ressorti des tiroirs en 2006 et publié, il avait été reconnu « courageux » par nombre de commentateurs. « L’institution aborde et reconnaît officiellement pour la première fois ce que tout le monde savait depuis 25 ans au moins. L’intégration de populations originaires de pays de culture musulmane pose quelques questions spécifiques. »
Comme beaucoup de rapports, peut-être a-t- il été lu mais a-t-on pris la mesure de l’état de la situation dans l’éducation nationale et qu'a -t-il été fait à cette époque et après pour en tirer des enseignements et peut-être des dispositions pour préparer l’avenir ?
Qu’il y ait des sanctions prises envers l’indiscipline et l’incivisme, c'est indispensable et qu’il y ait des mesures symboliques annoncées comme la journée de la laïcité, soit. Certaines d’entre celles citées sont d’ailleurs prévues dans le cadre de la refondation de l’Ecole : enseignement de la Marseillaise, moments d’éducation civique ...
Mais les sanctions et ces mesures suffiront-elles à changer en profondeur le mal être ressenti par ces jeunes et combattront-ils avec effet la propagande distillée par l’islamisme radical et le communautarisme, de manière insidieuse dans les quartiers? J’en doute très fortement. Dire comme certains élus nationaux de la République que l'Ecole a "failli'... et tout ce qui peut être interprété de ces propos, c'est un peu trop facile. Je pourrai à mon tour dire que ces mêmes élus nationaux ont failli...et c'est tout aussi facile.
Le mal est profond et il faudra autre chose que l’autoritarisme et des bonnes intentions pour changer la donne et les comportements bien ancrés.
" Liberté pour la France, la liberté pour les Français "Marianne (1940), auteur inconnu, domaine public)
L’UNIFORME : UNE BANNIERE REDUCTRICE DES PROBLEMES
Faire de l’uniforme une règle pour « de redonner aux élèves la conscience qu'être à l'école, c'est être dans un lieu spécifique, républicain et protecteur » cela me semble complétement illusoire, réducteur et décalé par rapport aux problèmes auxquels nous avons à faire face y compris les réactions de certains élèves de refuser de faire une minute de silence pour les victimes des attentats de ces derniers jours. On peut déjà se poser la question de savoir en quoi le port de l’uniforme aurait donné envie de participer à la minute de silence ? Le problème ne se situe pas du côté du port de l’uniforme ou pas. Comme le dit un vieux proverbe : ce n’est pas l’habit qui fait le moine.
Il y a de nombreuses raisons à ces attitudes: environnement de chaque élève, banalisation de la violence et non perception des échelles de valeurs due à la pléthore d'informations de tous ordres,..
On me rétorquera que selon un sondage une majorité de français seraient d’accord pour le port de l’uniforme à l’école. Et alors ?
Il y avait aussi une majorité de français pour que les élèves ne travaillent pas le samedi. Encore une fois, on sort un type sondage fait sans informations et sans vrais débats et qui sert d’argument fallacieux pour faire croire qu'on propose une bonne mesure parce que soi-disant approuvée par une majorité des français. Du pur électoralisme.On a vu ce que cela a donné avec la semaine de 4 jours et avec l’actuelle réforme des rythmes, toutes deux mises en place de manière électoraliste sur la base de sondages justement : des inepties que j’ai déjà dénoncées et sur lesquelles je ne reviens pas. (Voir dans ma rubrique éducation)
A propos, a-t-on fait un sondage auprès des élèves?
Aux arguments pour le port de l’uniforme à l’école du type "esprit de corps, sentiment d’unité, garantie de l’égalité d’apparence des élèves, moyen de lutter contre la dictature des marques ou le racket", on ajoute donc maintenant "moyen de lutte contre le terrorisme". Cela me semble être une nouvelle occasion de ressortir, pour certains, une mesure complètement hors du temps. Ce n’est vraiment pas la première mesure à mettre en place et que c’est complètement inapproprié voire simpliste pour faire face à la grave situation actuelle.
Pour chacun des arguments cités ci-avant, il est facile de trouver des contre arguments.
Je m’y exercerai plus tard ...si tant est que cela soit nécessaire
Mais prenons d’abord celui du jour : la lutte contre le terrorisme, redonner le sens des valeurs républicaines, lutter contre l’indiscipline, ....
( auteur de la photo Philou692- Travail, autorisation CC BY-SA 3.0, modifié avec citation)
L’UNIFORME : UNE SOLUTION TROMPEUSE ET DANGEREUSE
Je pense en effet que c’est une solution trompeuse et dangereuse dans la situation actuelle car elle n’est que superficielle et ne s’attaque pas en profondeur aux problèmes qui sévissent dans notre société parmi les jeunes.
Dans l’état actuel de la situation, imposer l’uniforme pourrait, au contraire, avoir des effets inverses aux objectifs escomptés et renforcer le rejet, voire plus, de l’autorité qui serait de ce fait vécu par les jeunes à qui on ne demande pas leur avis , comme un autoritarisme de mauvais aloi. Aux yeux des élèves, en général, ce serait rétrograde et autoritaire et ne serait pas accepté. Doit-on donc rajouter aux malaises avec de telle mesure?
Question au passage : les uniformes seraient-ils les mêmes dans les écoles publiques que dans les écoles privées confessionnelles, là où l’on peut porter des signes distinctifs et ostentatoires de son appartenance religieuse ? Le port de l’uniforme permettra-t-il de régler le problème du port du voile islamique ou de tout autre signe religieux ?
Ce qu’il faut c’est justement apprendre aux enfants et aux jeunes à vivre ensemble dans leur diversité. Mais ce n’est pas par le fait qu’on va tous porter une jupe ou un pantalon et une veste bleue (marine?) ou grise ou rose ou verte..., un écusson, voire une cravate, un tee-shirt ou une blouse qu’on va apprendre le sens des responsabilités, les droits et les devoirs ou les valeurs de la République et qu’on vivra à plein la laïcité et qu’on va l’appliquer.
Pour apprendre, il faut d’abord être bien dans son école, dans un cadre dans lequel on a confiance, dans lequel sont appliquées sans faiblesse des règles de vie qui donnent à chacun des droits mais aussi des devoirs, des règles qui ne tombent pas sur chacune et chacun de manière autoritaire sans qu’on les ai comprises. Bref, c’est une école où le respect des uns et des autres règne et ou on n’impose pas ses croyances et sa vérité à l’autre mais dont on peut discuter. C’est d’abord çà la laïcité.
(« À chaque fois qu'on défend la laïcité en France et dans le monde, on progresse.» - JLB » auteur TaniaPS- propre travail, CC BY-SA 3.0")
L’ESSENTIEL : UNE ECOLE INEGALITAIRE A RENOVER
Singulariser le port de l’uniforme à l’école c’est faire croire de manière illusoire que les différences sont gommées. Un peu facile et contre productif! Ce n’est pas l’uniforme qui socialisera les élèves qui savent très bien que les différences mais aussi les inégalités existent. Pour l’instant, l’école est inégalitaire et ne permet guère que l’ascenseur social fonctionne bien. Nombre d’études l’ont montré. L’uniforme n’y changera rien.
Bref, il faut faire le nécessaire pour mieux résorber les inégalités d’accès aux savoirs. L’école étant de plus en plus inégalitaire c’est en rectifiant au mieux ces inégalités qu’on fera face au mal être des enfants et des jeunes qui ont des difficultés dans leur vie hors de l’école et notamment quant à des repères positifs qui n'existent que peu voire pas. En tout cas, certains ne le perçoivent plus dans le fatras qui règne dans leur tête au niveau de la notion de droits et de devoirs que ce soit à l'école ou dans la Cité et qu'il faut rétablir ce qui n'est pas une mince affaire.
C’est aussi permettre à ces jeunes d’avoir l’espoir vrai d’accéder à une formation qualifiante et à un travail à l’issu des efforts faits et donc permettre de faire sa place dans la société comme citoyen et pas être dépendant d’un ghetto dans lesquels certains sont et dont ils ont du mal à sortir.
Oui, en France, certaines zones sont des ghettos. Oui en France, il y a des zones de non droit. Oui en France, le communautarisme existe et se développe. Les gouvernements doivent mettre en œuvre les moyens de les résorber et les faire disparaître.
L’uniforme ne favorisera pas, bien au contraire, l’apprentissage de la compréhension des différences. L’uniforme par le fait même de son existence imposée est un symbole qui signifierait que les différences sont dangereuses même si ce n’est pas l’intention. C'est tout le contraire de la laïcité. La République est diversité. C’est cette compréhension de la diversité qui est la base du respect d’autrui. Il faut que les diversités soient montrées comme positives et non comme des dangers.
Les bonnes réponses aux problèmes actuels de l’Ecole sont dans sa vraie refondation, pas celle timide ou insuffisante actuelle, en réfléchissant sur de nombreux points que j’ai déjà sur ce blog exprimés, notamment au niveau du renouveau de la pédagogie qui fera que cette refondation sera ou ne sera pas mais aussi grâce à la formation des enseignants qui doivent aussi avoir une juste reconnaissance de leur fonction et des moyens à hauteur de la tâche.
Je répète ce que j’ai déjà énoncé à plusieurs reprises. « Il faut pour cela sortir de certains vieux schémas d'organisations et de statuts désuets et inefficaces conservées dans le formol jusqu’à nos jours par nombre de technocrates mais aussi de politiciens dépassés et sur lesquels notre Ecole est fortement fondée depuis des décennies.
Les enseignants devront aussi montrer l’exemple de leur ouverture à d’autres schémas d’organisation horaires, de service, de prise en charge des élèves, de pédagogie. Certains d’entre-eux ont déjà pu le faire sur le terrain à tous les niveaux de l’Ecole. Ils n’ont malheureusement pas toujours été aidés et écoutés par l’éducation nationale et les hiérarchies qui ont rarement favorisé leurs initiatives et leurs innovations... »
A l‘école on doit donner les moyens à chacun de s’accomplir et d’évoluer à son rythme avec ses faiblesses et ses forces, de développer ses aptitudes et apprendre.
L'école n'a pas à se calquer sur les attentes de la société mais doit contribuer à la faire évoluer positivement, à la juste mesure de ses responsabilités pour peu qu’on lui en donne les moyens.
Tout un programme qu’il faut absolument aborder pour être complet et en faveur d’une école de la République tolérante mais ferme sur le respect des règles de la Laïcité expliquées et vécues à chaque instant.
Il ne faut pas oublier non plus que l’école ne peut tout et être responsable de tous les maux mais qu’elle est aussi tributaire pour ses résultats de la société dans laquelle les enfants et les jeunes vivent. La réflexion doit donc se poursuivre et s’amplifier sur les nécessaires articulations qu’il doit y avoir entre les préoccupations de la réussite scolaire des élèves et leur vie sociale source de difficultés nombreuses pour certains élèves et qui ne permettent pas à tous d’avoir les mêmes chances de réussir.
Il faut donc ajouter ou amplifier une vraie mobilisation concertée des forces vives de la cité et agir pour une citoyenneté juste qui ne laisse personne au bord de la route.
J’y reviens, donc, prochainement pour quelques propositions.
(Archives nationales, Domaine public)
Tags : Uniforme à l'école, Bernard Debré, laïcité