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IMPRIMANTE 3D et CONSTRUCTION DE BATIMENTS
Je lis dans la Voix du Nord de ce mercredi 26 novembre que le conseil régional Nord-Pas-de-Calais réfléchit à l’éventualité « d’imprimer en 3D une résidence universitaire ».
Cela méritait d’être signalé d’autant que Sandrine Rousseau,vice- présidente de la région chargée de l'Enseignement supérieur, annonce une centaine de logements qui devraient être construits avant fin 2015. Et de rappeler la pénurie de logements pour les étudiants. Et de faire référence à la Chine qui en effet a imprimé 5 logements en 3D en une semaine.
(Une maquette de façade d'immeuble créée par impression tridimensionnelle, domaine public)
Il y a déjà quelques années que je suis l’évolution des possibilités de ce qu’on appelle l’imprimante 3D. Je me souviens avoir proposé en 2011 ou 2012, à une association* dont je suis membre et que j'ai créée, une réflexion quant à l’opportunité de mettre en place un FAB LAB**. Dans ce Fab Lab, mon idée était de mettre à disposition de créateurs, de professionnels l’imprimante 3D qui selon moi avait un avenir qui allait révolutionner nombre de pratiques et dont il fallait connaître les possibilités. Le projet ne s’est pas fait pour diverses raisons sur lesquelles je ne reviens pas et qui appartiennent à l’association.
Il n’empêche qu’au fil du temps, de cette nouvelle technologie se sont emparés nombre de chercheurs qui en ont découvert les énormes possibilités et notamment dans le domaine médical : prothèses, tissus vivants... Tout cela n’a pas encore tout à fait abouti car les chercheurs prennent, à raison, toutes les précautions, examinent les conséquences, expérimentent ... Mais c’est en bon chemin et à grands pas.
Cela m’appelle donc, bien sûr, à nombre de réflexions devant un tel projet important de constructions de logements étudiants et lié à l’utilisation de cette nouvelle technologie.
(Cité des sciences (fab lab), Paris. auteur Benoît Prieur (Agamitsudo),27/11/2013, lic CC BY 4.0)
CONSTRUIRE UN BATIMENT AVEC LA TECHNIQUE DE L’IMPRIMANTE 3 D :
EST-CE POSSIBLE ?
A cette question, on peut répondre oui.
La preuve la Chine l’a fait. L’imprimante 3D est gigantesque : elle mesure 32 mètres de long, 10 mètres de large pour 6,6 mètres de hauteur et permet de réaliser des murs en seulement quelques heures. Les Etats Unis démarrent avec une technologie un peu différente. La commercialisation pourrait se faire dans quelques années. En Europe, la société BetAbram située à Krsko en Slovénie a annoncé la commercialisation de trois imprimantes 3D permettant l’édification de structures importantes.
(voir sur Youtube ou le journal de 20h de France 2 du 30 janvier 2014 et l'émission "Envoyé spécial" du 6 mars 2014)
Faisons un peu de technique...
L'impression en trois dimensions permet de produire un objet réel à partir d’un fichier 3D que l’on a travaillé sur logiciel. Le lien se fait ensuite vers une imprimante 3D qui découpe l’objet en tranches et dépose de la matière couche par couche pour recréer l’objet conçu sur l’ordinateur. On perçoit tout de suite les immenses possibilités de cette nouvelle technique qui se perfectionne de plus en plus et notamment au niveau des logiciels de conception et des imprimantes qui peuvent « imprimer » à partir de matériaux très divers. La recherche continue pour aller encore plus loin dans l'utilisation des matériaux...jusqu’où ?
Pour les matériaux de construction c'est déjà bien amorcé.
(On trouvera sur Wikipédia des informations intéressantes pour se faire une idée de la technologie et des ses possibilités présentes et à venir http://fr.wikipedia.org/wiki/Impression_tridimensionnelle )
COMBIEN CA COUTE ?
Il est difficile de le dire mais en tout cas la maison construite en quelques jours serait bien moins chère que celle qui prend six mois à un an avec les procédés actuels du bâtiment. En Chine on annonce une maison de 200 m2 pour 4300 euros ! A Krsko, en Slovénie, il est annoncé le prix de la plus petite imprimante qui serait de 12 000 euros. Le projet américain table sur 40 000 euros la maison mais la technique essaye de tout intégrer y compris par exemple les tuyauteries, la piscine...
EST-CE UTILISABLE RAPIDEMENT ET PAR EXEMPLE POUR LE PROJET REGIONAL ?
Il semble que le projet américain demande encore quelques expérimentations sur plusieurs années. Les slovaques ont l’air plus avancé dans la mise à disposition commerciale puisqu'il est annoncé les premières imprimantes en 2014 et 2015. Mais ces imprimantes pourrait-elles correspondre au projet de résidence universitaire régional ? Les réalisations chinoises montrent apparemment une plus grande avance.
A Amsterdam, on a déjà commencé depuis mars 2014 mais avec des matériaux et des techniques différentes qui font suite à des années d'études et de tests. On peut aller visiter la maison en construction. Les deux sociétés (Utilimaker et Architectburo DUS) associent les possibilités de l’impression 3D et de nouveaux matériaux en imprimant des parois en "nid d’abeille"qu'on remplit d’une mousse expansive de conception nouvelle. C'est parait-il très solide. La maison sera construite en 3 années, l'objectif étant d'en faire le modèle d'un nouveau concept de construction immobilière. Quand elle sera terminée, elle deviendra un musée des "nouvelles tendances du design et de l'architecture".
(Projet de maison d'impression 3D à Amsterdam, auteur Marcuscalabresus, 1/07/2014, CC BY-SA 3.0)
L'innovation est donc bien en marche y compris en Europe.
Je comprends l’enthousiasme de la vice présidente-régionale mais je ne crois pas que la construction pourra être faite avant fin 2015. Il faut d'abord trouver la bonne imprimante ce qui ne sera pas si facile. Il faudra aussi vérifier si le produit "imprimé" correspondra aux normes françaises actuelles de la construction. En tout cas, l'idée est intéressante et la région a tout à fait raison de s'en saisir dès maintenant pour la concrétiser.
Si mettre des portes et des fenêtres sur la construction "imprimée" ne doit pas poser de problème par les techniques traditionnelles, il me semble que les passages des canalisations, électricité, évacuations, chauffage devront être prévus avant et dans l’impression. Le gros oeuvre fait, les finitions prendront quand même du temps car ce sera un travail faisant appel aux techniques traditionnelles.
Mais tout cela n'est qu'avis personnel. Il faudra sans doute encore mieux s' informer de cette révolution qui s'annonce dans le bâtiment à un terme assez court.
QUELQUES QUESTIONS POUR L’AVENIR
L’imprimante chinoise utilise des matériaux recyclés ce qui est très positif.
Quelques questions doivent se poser tout de suite pour prévoir l’avenir et auxquelles il faut répondre avant que ce genre de procédé pour le bâtiment se développe.
Le progrès technique c’est bien mais c’est parfois aussi destructeur. L’homme s’est souvent lancé dans les nouvelles technologies sans réfléchir aux conséquences sur l’humain de ce qu’il considère comme un progrès parfois tout à fait relatif car tout dépend de quel côté on se place. Ainsi il en est des divers robots qui ont pu être imaginés, construits et utilisés et qui ont supprimé des milliers d’emplois, un peu comme ces caisses automatiques qui supprimeront peu à peu les hôtesses de caisse des grands magasins. Si on se place du côté de l’entrepreneur c’est rentable. Du côté du client, celui-ci pense gagner du temps et en réalité il fait le travail de la caissière alors que c‘était tout aussi rapide et plus "humain" avec les caisses de moins 8 ou 10 articles. Ce n’est donc qu’un progrès illusoire pour le consommateur et c’est destructeur pour l’emploi. Je n'utilise pas personnellement ces caisses.
(Des robots industriels au travail dans une usine, auteur KUKA Roboter GmbH, Bachmann, Domaine public)
Pour "l'impression de bâtiments" cela semble cependant différent au niveau des objectifs si la frénésie de la rentabilité ne casse pas les aspects positifs de cette révolution technique et qu'on met l'humain au centre des préoccupations.
PROGRES POUR LE COUT, L’ECOLOGIE, LA RAPIDITE et DONC L’URGENCE
L’imprimante en 3D, quand elle sera au point pour construire des logements, peut être considérée comme un progrès technique indiscutable sur le plan écologique et sur celui de la rapidité de construction.
Pour ce qui est du prix, il faudra voir de quelle manière vont se faire monnayer ceux qui ont le meilleur outil. Je ne crois pas au prix de 3 à 5 000 euros la maison (hors terrain). Nous ne sommes pas en Chine. Le coût de l’assainissement , des installations électriques, des diverses tuyauteries, le chauffage et la menuiserie vont faire exploser ce prix de base. Il n’est qu’à voir les prix actuels de ce type de prestations. A moins que l’imprimante 3D ne soit capable d’affiner la mise en place de ces aménagements dans l’impression directe ce qui n'est pas pour tout de suite.
Revenons à la rapidité de construction. Il est sûr que, comme l’espère la vice-présidente de la région Nord Pas de Calais, on va pouvoir construire très rapidement et faire mieux face aux besoins des logements étudiants qui sont immenses.
Une autre utilité pourrait être de construire rapidement des logements d’accueil pour toutes celles et ceux qui n’en ont pas et qui sont actuellement à la rue. Il faudra dans ce cas réquisitionner nombre de terrains qui servent actuellement la spéculation car on n’ aura plus le prétexte du coût et du temps.
(Programmation des mouvements d'un robot sur un ordinateur, auteur KOMATSU Ltd, lic. CC-BY-SA-2.1)
LES BEMOLS DU PROGRES TECHNIQUES
Cette technique devrait dans un premier temps n’être consacrée qu’à la construction en urgence.
Pour le reste, cela le paraît plus compliqué et d’ores et déjà, il faut considérer quelles incidences l’utilisation de cette nouvelle technologie aura sur les mêtiers de la construction si onpasse à une généralisation. Quels mêtiers disparaîtront, et de quelle manière va-t-on pouvoir faire face à une reconversion qui va toucher de nombreux emplois. Quels métiers seront nouveaux? On peut penser à la fabrication des logiciels et surtout des imprimantes.
Je ne suis pas un spécialiste et je ne vais pas prétendre faire le tour de la question. Il n’empêche que je sais que le « Bâtiment » est un secteur essentiel de l'économie française : un peu plus de 1,4 million de personnes y sont employés en France, dans 347 000 entreprises (source Fédération française du Bâtiment, chiffres clés 2014). Les artisans représentent un peu plus d’un quart (27 %) des professionnels de ce secteur.
Ce n’est donc pas rien.
Si on regarde de plus près, il est sûr que tous les secteurs du bâtiment ne seraient pas touchés comme celui de la rénovation et la mise aux nouvelles normes environnementales. On remarque en effet un quasi équilibre entre les travaux sur l’existant et les travaux neufs.
Le secteur des métiers de la démolition devrait être épargné.
Les ouvriers et ingénieurs en bâtiments auront donc à se reconvertir ou à se spécialiser car nombre de tâches seront faites par la machine qui a mon sens aura, tout au moins à court terme, ses limites au niveau de la complexité des constructions. L’imprimante peut par contre participer à réaliser des progrès dans le domaine de la pénibilité du travail sur le gros œuvre.
C’est donc surtout le secteur de la construction du neuf qui serait touché.
Pour ce qui concerne les métiers liés aux équipements techniques comme le chauffage, la plomberie, la climatisation ou l’électricité, ils ne devraient pas être tout de suite touchés. Tout dépendra de quelle manière l’impression 3D aura la capacité de construire et d’évoluer vers plus de finesse dans les réalisations d’impression. Les recherches sont déjà en cours notamment aux Etats Unis. Idem pour les métiers d’aménagements et de finition (menuiserie, plâtrerie, carrelage, sols, peinture, etc.) ainsi que tout ce qui touche au commercial. Pour les bureaux d’études, il est clair qu’il y aura à reconvertir et à adapter en fonction des projets.
(Impression 3D industrielle à grande échelle, auteur EdytaZwirecka - Travail personnel, CC BY-SA 3.0)
La reconversion devra être pensée longtemps à l’avance pour éviter les catastrophes et les drames humains dans le domaine des métiers ayant traits aux structures et aux gros œuvres.
Souhaitons que nos responsables et nos entreprises aient la sagesse de prendre en main les incidences de cette nouvelle technologie de manière adaptée c’est à dire en tenant compte de l’humain et que la réflexion qui se doit d’être nationale ne sera pas une fois de plus technocratique et à court terme et uniquement basée sur l’économique comme cela l’est trop souvent.
Pour conclure, il est dommage que la France ne soit pas dans le coup de cette technologie qui a l’air d’être en pointe en Chine. Il n'est cependant pas trop tard pour prendre le train - l'imprimante- en marche. Ce devrait être un avertissement pour prendre les décisions nécessaires à une relance de notre « Recherche ».
Cette technologie permettra peut-être, si les états s’en donnent les moyens, de faire plus vite et mieux pour loger ceux qui souffrent dans les bidonvilles ou qui, dans certains pays, attendent depuis des mois voire des années un toit décent parce qu’ils ont été touchés par une catastrophe...
N'y a t-il pas aussi à réfléchir, en ces temps d'inondations, à nombre de protections qui pourraient se faire plus rapidement pour faire face à la nature qui se déchaîne...
A suivre.
* Association: voir sur ce blog l'introduction de la rubrique NTIC : http://quaiducitoyen.eklablog.fr/ntic-c18194351
** Fab Lab :Un fab lab (contraction de l'anglais fabrication laboratory, « laboratoire de fabrication ») est un lieu ouvert au public où il est mis à sa disposition toutes sortes d'outils, notamment des machines-outils pilotées par ordinateur, pour la conception et la réalisation d'objets (source Wikipédia)
(Exposition des 25 ans du Mac au musée de l'Informatique à La Défense, Hauts-de-Seine, France. Macintosh avec son imprimante matricielle, année 1984. auteur Clicsouris -(Photo personnelle), CC BY-SA 3.0 )
Tags : Fab Lab, imprimante 3D, batiment, Chine, Amsterdam, Slovénie, région Nord-Pas- de-Calais, étudiants, résidence universitaire, Etats Unis